J’avais, pour ceux qui s’en souviennent, déjà publié ici même un éditorial sur les pro-life. C’était au mois de juin dernier, au moment du meurtre du Docteur Tiller, ce médecin dont le crime était d’effectuer des avortements dans une clinique qu’il avait lui-même fondée, et qui reste, encore aujourd’hui, l’une des seules aux Etats-Unis.
Pour ceux qui s’en souviennent, j’avais alors fustigé ces gens qui, sous prétexte de respecter la vie, se permettent de prendre celle d’un père de famille. Ce meurtre, particulièrement médiatisé (il y en a eu d’autres depuis, dont personne n’a parlé) aurait pu avoir comme effet de faire sortir le Vatican de sa réserve. Las! L’Etat Pontifical est plus à l’aise pour commenter et boycotter le dernier livre de Dan Brown - sans l’avoir lu - que pour parler du monde réel. Quand on est censé se poser autant contre le meurtre que contre l’avortement, dur de trouver quelque chose à dire, autre que « c’est lui qui a commencé ».
Quelques mois plus tard, nous voici donc de retour avec les pro-life. Non pas ces extrémistes meurtriers, soixante-huitards attardés se roulant par terre de plaisir aux seuls mots « Dieu vous aime » (et qui peut dire ça, d’abord?), mais ceux du quotidien.
Ceux qu’on croise tous les jours dans la rue, ceux qui font de l’avortement un combat politico-religieux, et qui s’enflamment dans des conversations sans autre fondement que de trouver celui qui a la plus grosse… idéologie.
Oui, comme vous l’avez compris, nous parlons bien ici de l’Espagne.
S’il est un pays particulier, en Europe, c’est bien celui-ci. Un mélange de vieux traditionalisme Maure mâtiné de christianisme, sous un vernis ultra-moderniste. Un système politique lorgnant ouvertement vers la monarchie suivant le sens du vent, et plus encore vers le Vatican. Si la France est la fille aînée de l’Eglise, alors l’Espagne est sa cadette, bien plus sage.
Il n’aura échappé à personne que la patrie des corridas et du Chorizo vit en ce moment des heures pénibles, hésitant entre la bonne morale catholique et un pragmatisme plus « normal ».
Mais revenons aux sources…
Une première loi (datant de 1985) permet déjà l’avortement, sous certaines conditions : viol, malformation fœtale, mise en danger physique ou psychologique de la mère. Ce que l’on appelle un avortement thérapeutique, en somme.
Même s’il est évident que certaines cliniques, de par leur laxisme, on permit à plusieurs milliers de femmes d’avorter depuis près de vingt-cinq ans, la femme qui commet ce qui est encore un crime peut être condamnée à plusieurs années de prison.
La nouvelle loi, qui se base à la fois sur ce qui est généralement fait en Europe et s’appuie sur plusieurs études médicales, permettrait donc à toutes les femmes d’avorter hors de ces cadres limitatifs, jusqu‘à quatorze semaines. Les jeunes filles dès seize ans pourraient, aussi, avorter sans avoir besoin du consentement parental.
Pour nous, modestes Européens déjà habitués, tout ceci est déjà bien évident.
Une jeune femme ou fille qui a une sexualité active n’a pas à demander l’avis de ses parents pour aller se faire avorter. Sinon, pourquoi ne pas inviter, aussi, ses parents au pieu pour se faire taquiner le minou?
Une femme n’a pas à devoir passer dans la clandestinité pour avorter, uniquement pour faire plaisir à des gens qui, de toute façon, n’en ont rien à fiche d’elle.
En France, une expression est née de Simone Veil, au moment de l’adoption de la loi en 1973 : on parle du droit des femmes à disposer de leur corps.
Oui, mais…
Dès samedi, les rues de Madrid se sont vu envahies de manifestants réunis sous le slogan « every life matters ». On a estimé leur nombre à un à deux millions.
Qu’ont-ils tous dans le crâne, ces amateurs de tortillas (j’aime ça aussi, j’avoue)?
De fait, parmi toute cette population élevée d’une seule voix pour le droit fondamental à toute vie, il existe certaines dissonances.
On observe, par exemple ceux et celles qui n’auront jamais recours à l’avortement. Parce qu’ils n’en ont pas besoin. L’Espagne, pays ultra-catho s’il en est, a toujours su compter sur ces archaïques ménagères.
Mais on voit également ceux qui confondent « commerce de foetus » avec avortement. Le fantasme de la mère porteuse, comme l’explique le Courrier International, tient une bonne place sur les pavés.
Mais, surtout, ils se raccrochent tous à cette idée : la vie c’est sacré.
Qu’est-ce que la vie? A part une série d’interactions bio-chimiques, pas grand-chose, en fait. Comme je l’avais dit en conclusion du dossier sur la mort, la vie est essentiellement un accident entre deux périodes de mort. Un réveil fugace pendant la nuit, juste le temps de passer aux toilettes, et encore. Du point de vue scientifique actuel, un fœtus n’est considéré comme vivant qu’à partir du moment où il pourrait vivre hors du ventre de sa mère. A partir de ce moment là, il devient une personne. Sinon, oserait-on dire qu’un cancer est une personne? Il est évident que non. Si la mère meurt, le fœtus meurt avec. A ce moment, il n’est encore qu’un extension d’elle. Coupez-lui le courant, et la lumière s’éteint, il n’est pas encore sur batterie.
En quoi, alors, cette vie peut-elle être sacrée? Parce qu’elle provient de l’amour de deux êtres, vous dirons les midinettes du coin, auxquelles nous pourront répondre qu’il n’y a pas besoin d’amour, tant qu’on a un pénis et un vagin (et un utérus, accessoirement, mais bon).
L’idée est là. Des gens capables de se dire que Dieu les aime pensent fatalement qu’Il aime tout le monde, et qu’Il veut que tout le monde vive. Heureusement que l’avortement existe : on a du mal à nourrir tout le monde, déjà (d’ailleurs, on n’y arrive pas, en réalité).
Finalement, la vie n’a rien de particulièrement extraordinaire, d’une part et, d’autre part, refaire un enfant quand on a du, pour une raison ou pour une autre, déjà avorter n’est pas le pire des calvaires. Il vaut mieux un enfant attendu et voulu qu’un lourdingue qui se pointe par la porte de derrière et emm… le monde. On accepte pas quand les voisins s’incrustent pour l’apéro, il n’y a pas de raison de le faire pour des enfants.
Je vois d’ici les commentaires sur « on voit bien que c’est un mec, hum! ». Sauf qu’il n’est pas ici question de sexualité. Ni même de morale, en fait. C’est une question de liberté personnelle. La liberté d’une femme ou d’un couple (oui, un enfant ça se fait à deux) à choisir le moment où ils enfanteront. Certes, la vie n’a rien d’extraordinaire. Mais faire naître son enfant, qu’on a voulu et attendu pendant neuf mois (dix pour un éléphant, et contacter la Poste au-delà), et dont on sait qu’on est prêts, financièrement et psychologiquement, à l’avoir, c’est déjà bien. D’une manière générale, il vaut toujours mieux ça que de mauvais parents qui battent leurs enfants parce qu’ils n’ont pas eue la présence d’esprit de mettre la capote sur le bolide. Il y a des gens qui peuvent être parents, d’autres non. Ce n’est pas une raison pour que ceux qui ne le peuvent pas soient punis.
A vingt-sept ans, j’ai vus deux avortements. Si le premier ne m’a que peu atteint (pourtant j’étais dans la salle), le second m’a fait très mal. Quand on veut à tout prix un enfant, c’est un brin hard de savoir que la femme qu’on aime n’en veut pas, et de se voir confié le rôle de celui qui tient bon en toute circonstance, pour qu’elle s’en remette (après tout, c’est elle qui est sur la table). Pourtant, je l’en remercie aujourd’hui. Quatre ans ont passé, et les évènements se sont succédés. Certes, elle et moi ne sommes plus ensemble, mais je marche aussi avec une canne, j’ai du mal à trouver du boulot (dur, quand on est handicapé, hihi), etc. J’en aurais fait quoi, de Quini Junior? Me contenter de lui filer des boîtes de conserve périmées dans le biberon, pas sûr.
Voila pourquoi, aussi, l’avortement est nécessaire. Et, dans nos pays, beaucoup de gens ont une histoire de ce genre à raconter. Est-ce que ça signifie que tous n’auront pas d’enfants? Non. Mais que, à défaut de pouvoir l’aimer, ils sauront le faire, tout simplement.
Et voir une ado dont la vie est encore en pointillés se promener avec l’air d’avoir avalé un ballon de foot taille XL, ça a de quoi choquer un brin.
La vie, c’est ce qu’on en fait. Un fœtus dont la plus grande gloire est de filer des nausées et donner envie d’uriner toutes les trois minutes, ce n’est pas une vie.
En tant que telle, je respecte la vie. La vie des gens, ce qu’ils peuvent accomplir, et faire, et ce qu’ils veulent. Les choix font partie de cette vie. Et respecter une femme qui a choisi de construire sa vie plutôt qu’avoir, malgré tout, un enfant, c’est ça, d’abord et avant tout, respecter la vie.
Il ne faut pas oublier non plus que, ce qui nous semble aujourd’hui normal est toujours en danger. Il y a toujours des gens qui, pour leur propre idéologie, veulent mettre à bas les libertés des autres.
C’est pourquoi, samedi dernier, un long cortège a marché dans Paris pour, entre autres, dénoncer le droit à l’IVG. Cent-trois associations féministes étaient rassemblées là.
« Chaque fois que l’on voit les partis traditionalistes battre le pavé, c’est contre nos libertés et nos droits citoyens, confie la cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF), Antoinette Fouque. Entre le droit à l’IVG attaqué, le port de la burqa, la sous-représentation en politique et les violences faites aux femmes, la période actuelle est très dure. Depuis quarante ans, notre combat n’a pas cessé et rien n’est jamais acquis. » (Le Parisien)
Eh oui. Un bémol, cependant, à cette manifestation : peu d’hommes. Encore et toujours, ils sont un brin à la traîne, même si les choses changent. Sans compter que l’information tourne souvent au sein même de ces associations, dont certaines refusent presque les hommes.
La vie est dure, donc, pour ceux qui préfèrent voir une vie achevée et remplie que deux vies gâchées. Et, encore une fois, il n’est question que de liberté individuelle.
Je n’en ais pas particulièrement parlé, mais il est évident que la religion est parti-prenante dans cette triste histoire. Le catholicisme, de part le Vatican et l’Opus Dei, se trouve bien représenté partout dans ces évènements, et il est évident que la majorité des manifestants Espagnols basent leur réflexion sur leur propre sentiment religieux.
Quand vous acceptez qu’un Dieu invisible pense pour vous, ce n’est pas la peine d’être pour la liberté des autres…
Sans oublier que le Parti Populaire (de droite) Espagnol a demandé, samedi, le retrait du projet de loi… Il est évident que nous en reparlerons, cette loi devant être votée à la fin de l’année.
Voila pour cette fois. Comme d’habitude, j’ai essayé de me contenter de ramener des infos, a vous de les approfondir et d’en discuter (oui, forum, je sais)… Et il y a matière.
Sinon, un petit truc en passant. Nous sommes toujours un forum essentiellement athée (merci aux croyants qui viennent, c’est agréable), et Halloween approche… Donc, si vous voulez mettre en ligne des petits trucs (persos, si possible) sur le sujet, j’ouvre dès maintenant un topic dans la Papote, pour les dessins, vidéos, musiques, textes, poèmes, etc… Humaniste, je vous dis.